Exposition Les Cahiers dessinés @ La Halle Saint Pierre

En ces temps de barbarie inculte, voilà une visite qui va vous ouvrir les yeux et provoquer nombre d’émotions coupables (aux autres yeux, ceux des dits-barbares, justement). Un œil grand ouvert en est le symbole dessiné et c’est tout un programme.

Vous y irez sans doute tout d’abord tiré par l’envie bien humaine de s’en payer une bonne tranche. Et vous serez servis. Parmi les planches exposées des caricaturistes les plus désopilants vous éplucherez sans honte les assauts graphiques politiquement incorrects des Reiser, Willem ou Vuillemin qui ont hanté avec délice les Charlie Hebdo et autres échos des savanes. Les caricaturistes et les dessinateurs ont été de tous temps les cibles des systèmes totalitaires, c’est à dire des dictatures et des religions. La puissance alliée du dessin et des mots forment une machine redoutable pour déclencher le rire et la moquerie, armes absolues contre la peur et la terreur qui sont celles des oppresseurs du corps et de l’âme.

Ce sain divertissement (qui devrait être au programme des écoles, au moins des laïques) vous préparera par sa leçon de tolérance tout autant que d’irrévérence à recevoir la suite. En effet l’exposition des Cahiers Dessinés ne s’est pas arrêté à ce programme facile d’avoir les rieurs de son côté. Après avoir ouvert vos chakras, vous serez prêts à vous plonger dans des œuvres autrement plus hermétiques (du moins en apparence). Mais là faites juste l’effort de lire à chaque fois les petites biographies, remarquables concentrés de vie, qui accompagnent les séries d’œuvres affichées. Vous pénétrerez alors dans l’univers de dessinateurs tourmentés, surréalistes voire parfois carrément fous qui atteindront en vous des émotions tout aussi profondes sans que parfois vous compreniez pourquoi.

Présentation

Du 21 janvier au 14 août 2015, les Cahiers dessinés sont invités à la Halle Saint-Pierre pour y exposer un large panorama de dessins. De Victor Hugo à Bruno Schulz, d’Alechinsky, à Kiki Smith, de Saul Steinberg à Chaval, Sempé, Ungerer, Topor, Reiser et Vuillemin… 65 artistes se dévoilent dans leur subtile diversité.

Les Cahiers dessinés sont une maison d’édition créée à Paris en octobre 2002. Celle-ci a pour vocation de publier des ouvrages consacrés au dessin, sous toutes ses formes, de tous les pays, de toutes les époques : dessins de la grotte Chauvet, d’Apollinaire, de Giacometti, de Cartier-Bresson, dessins de peintres, dessins d’écrivains, dessins d’humour…Près d’une centaine d’albums ont paru, ainsi que neuf numéro de la revue Le Cahier dessiné.

C’est sans doute là une des réussites majeures de cette exposition. L’éclectisme et le refus de la facilité. Attendez vous donc à quelques chocs. Le mien a été la découverte du dessinateur Marcel Bascoulard. Vous devez absolument prendre le temps d’admirer chacun des dessins exposés de cet artiste hors du commun. Sans logis, vivant comme un clochard dans une carcasse de bus, habillé d’habits féminins qu’il se fabriquait lui-même, autodidacte total, n’ayant jamais suivi aucun cours ni aucun mentor, il a noirci des pages entières de papier blanc avec la plupart du temps un simple crayon de papier pour représenter, que dis-je, sublimer, incarner, figer pour l’éternité des paysages de sa ville. Sans jamais avoir appris la technique du dessin, il est parvenu à transcrire avec une fidélité et des détails époustouflants de réalisme et de souffle, des choses aussi simples qu’une allée d’arbres ou une rue. Vous entrez dans ces dessins comme dans un monde vivant. Chaque détail est une révélation de beauté, un émerveillement.

Enfin cette exposition, marquée définitivement du sceau de la diversité, comprime et juxtapose les époques et les univers en s’étirant du célèbre Victor Higo aux anonymes d’aujourd’hui qui bien que ne jouissant d’aucune reconnaissance continue à construire et à renouveler en permanence ce langage universel qu’est le dessin.