Jurassic World (Film, 2015)

387182Une tendance assez singulière semble exponentiellement frapper la sphère hollywoodienne depuis le début de ce siècle: la renaissance. Renaissance d’une figure, renaissance d’une série; renaissance d’une licence, renaissance d’un concept; renaissance d’un héros, renaissance d’une carrière. Le principe? Prendre les mêmes et recommencer. Et quand ça ne peut pas être les mêmes, rechercher leurs fils spirituels, leurs alter-ego.

Quand une des licences les plus mythiques du cinéma annonce « enfin » un retour à l’écran au travers d’un nouveau film dit blockbuster, c’est toujours la même rengaine: on ne parle plus que de ça. Et c’est là qui se crée le véritable phénomène pop-culturel: l’attente, l’expectative, le mystère, l’énigmatique.  Dans de telles circonstances, comment ne pas être happé par cette foule en délire, composée d’autant de sceptiques que de passionnés qui iront, tous en chœur, donner leur argent afin d’attester de la véritable nature de cette « nouvelle » hyper-production, au grand bonheur des producteurs? Si on est sûr d’aimer, rien ne nous retient et si on part dubitatif, on y va toute de même; car au fond, quoi d’autre de mieux que la vérification empirique pour nous sortir de l’ignorance? Alors on y va. Et on juge.

Souvenez-vous, lorsque, après l’impact de La Guerre des étoiles, Steven Spielberg, ami de longue date de Georges Lucas, a voulu frapper, à son tour, la planète par un film défiant les normes: la thématique des dinosaures  apparue alors dans son esprit, jusqu’à en devenir une sorte d’obsession. Son premier objectif fut de sensibiliser le monde autour du fantastique univers de ces créatures disparues il y a maintenant 60 millions d’années. La cible de départ était les jeunes générations puisqu’il réalisa en 88 un dessin animé long-métrage aujourd’hui devenu culte: Le Petit Dinosaure et la Vallée des Merveilles. Spielberg participa également à l’avènement et la réalisation de nombreux documentaires sur cette éminente période de l’Histoire de la Terre, du jamais vu jusqu’alors. Tout ceci amena au développement de premiers produits dérivés, d’ores et déjà à l’effigie du logo Jurassic Park pour la plupart, telle une promesse de quelque chose de plus grand à venir. La documentation et l’information sur les dinosaures s’en sont vues considérablement accrues et dès lors, les dinosaures n’avaient plus aucun secret pour personne; surtout pas pour les enfants, qui en sont devenus, à ce jour, inaltérablement passionnés. Ce qu’on ignorait encore, c’est que tout ce mouvement culturel et historique en préparait un autre, considérablement plus important.Jurassic_park

Jurassic Park est un film qui, comme tant d’autres grands films américains, a marqué profondément son époque et sa génération. N’étant même pas né lors de son arrivée dans les salles obscures, le chef d’œuvre de Spielberg a pourtant atteint jusqu’à ma propre enfance, à la fin des années 90, où il était encore et toujours si présent. Ajoutez à cela l’arrivée d’une suite plutôt honorable (Le Monde perdu: Jurassic Park) 4 ans plus tard, en 97, ainsi que tout le merchandising et le marketing s’étant développés autour de la saga et vous obtenez un des plus grands phénomènes cinématographiques de l’époque, se hissant juste derrière la Star Wars Mania, à peine calmée, 10 ans après le dernier épisode de la trilogie originale (Le retour du jedi). Seulement voilà, depuis 2001, date de la dernière production de la franchise, Jurassic Park III, s’étant révélée être une déception, le phénomène dinosaurus semblait, tout comme son objet, bel et bien éteint. Les enfants ayant vécu l’arrivée de Jurassic Park étaient alors devenus grands et les nouvelles générations c’étaient davantage reportées sur le fantastique, l’imaginaire et le merveilleux, ces domaines de l’irréel, bien loin de la véracité de la vie jurassique (Disney, Pokémon & autres compères).

Resservir du dinosaure en 2015? Voici le lourd challenge que s’est lancé Jurassic World, 4ème opus de cette série phare du cinéma international. Il fallait oser, après 14 ans de lourd silence, voici que reviennent comme une fleur ces créatures vieilles de 60 millions d’années. Verdict pour les spectateurs? C’est la folie. La folie pure et dure. Tandis que le film est en train d’exploser tous les records, force est de constater que la dinosaure-mania est toujours là; hélas, pour nous, elle a comme un goût de…réchauffé.

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Synopsis

L’Indominus Rex, un dinosaure génétiquement modifié, pure création de la scientifique Claire Dearing, sème la terreur dans le fameux parc d’attraction. Les espoirs de mettre fin à cette menace reptilienne se portent alors sur le dresseur de raptors Owen Grady et sa cool attitude.

Oui je sais. Ce synopsis fait mal aux yeux. Sans complexe, il rassemble les plus gros clichés de la planète et sape toute sa crédibilité au film d’un seul geste. Plutôt surprenant de la part d’une franchise qui a tellement misé sur son approche marketing. Mais après tout, tout le monde s’en fout. Tant qu’il y a du dino et des boyaux. Et oui, ce quatrième volet tant attendu ne va seulement traiter que d’un gigantesque dinosaure OMG, d’un play-boy macho à la « cool attitude » et d’une savante demoiselle en détresse. Ah oui, il y a des gosses aussi, mais ça on le dit pas, en même temps, quel intérêt?

La première chose qui me vient à propos de Jurassic World, c’est son démarrage si long et pesant. Tout d’abord, on suit le départ de deux frères quittant leurs parents pour aller visiter le « fameux » parc: un plus jeune, encore dans sa période de latence et un plus vieux, adolescent désabusé semblable à une hormone sur patte. Ils sont apparemment attendus par leur tante, une des dirigeantes du complexe (vous vous souvenez, la scientifique un peu cruche), qui doit leur faire visiter les lieux en accès VIP. Quand les plus tolérants voient ici un hommage à la narration du premier, j’y vois une sorte de copie bas de gamme à la mélancolie déplacée. Et pour cause, le jeu des jeunes acteurs est dès le départ faux et inégal: lorsque le garçon du premier film de Spielberg, sous le choc, tombait dans un mutisme de près de 20 minutes de film après une attaque de T-Rex, le petit chevelu de Jurassic World, lui, arrive sans difficulté à sourire lorsqu’il parvient à réchapper de la gueule d’un dino géant OGM. Et de dire « Oh finalement on s’en est bien sorti »; ces jeunes…génération blasée.

356772Entre alors en scène Chris Pratt, flamboyant dans Les Gardiens de la Galaxie, ici plutôt quelconque, voire affligeant de banalité. En sa qualité d' »éleveur de raptors » il a de nombreuses occasions durant le film pour faire montre de ses qualités et pourtant, il ne transcende pas. Tout juste il ajoutera cette unique réflexion du film (scientifiquement erronée?): les dinosaures sont des animaux à l’intelligence sur-développée, il faut les considérer comme des êtres d’exception. Il est accompagné d’un Omar Sy anecdotique soutenant la philosophie respectueuse face aux créatures ultra-dangereuses dont ils ont ensemble la garde. On en vient même à regretter son apparition en Bishop dans X-Men: Days Of Future Past, tellement plus classe et adéquate. Le tableau côté « gentil » se complète par la présence du directeur et principal actionnaire du parc, anti-héros ambigüe à l’accent indien plutôt ridicule et enfin de celle d’un geek et d’une nénette assez simplette membres de la surveillance informatique et interne du parc. Pour résumer, on se retrouve avec le même casting que dans le premier film: une fratrie d’enfants, un « couple » d’adulte, un acolyte pour le héros, un millionnaire aux ambitions (bien trop) folles et deux sentinelles-ingénieurs de l’île. Le problème, c’est que lorsqu’on singe un bon film en ayant pour tout argument de meilleurs effets visuels & moyens techniques ainsi qu’une collection de clichés américains ringards et débiles, la chute est vraiment rude, très rude.

Côté méchant, on a un braconnier pro de la guerre qui veut faire des vélociraptors une arme de pointe, pensant pouvoir les contrôler, ainsi que son équipe militaire de choc; le scientifique asiatique manipulateur et pro de la génétique, créateur d’une grande partie des espèces les plus incontrôlables (dont le même rôle était déjà tenu par le même acteur dans Jurassic Park) mais aussi et bien sûr le terrible Indominus Rex. Je vous laisse vous refaire un peu les deux premiers opus dans votre tête. Même topo, même addition.

547184Ah! L’Indominus Rex, parlons-en! Cette merveille de la nature aux aptitudes hors normes, défiant à lui seul toutes les pu***** lois de la génétique. Le film a beau clairement critiquer la nature humaine qui a engendré ce monstre, il valide également son utilité dans l’industrie du cinéma en faisant de celui-ci son antagoniste principal et non un danger parmi tant d’autres au sein d’une île truffée de dinosaures. Plus c’est gros, plus ça passe. Plus c’est dangereux et inhumain, plus ça remplie les poches. Et bien le succès de Jurassic World, c’est clairement pareil: en créant virtuellement et cinématographiquement cette abomination au travers d’un blockbuster, on attire les foules et on en a pour son argent. Un film qui réalise ce qu’il condamne. Waow.

Je termine mon gentil pamphlet en ajoutant que la première victime de ce succès sont, tout comme dans le scénario du film, les dinosaures eux-mêmes. Alors oui, les dinosaures sont beaux. Mais que sont-ils devenus?! Le tyrannosaure, terreur du jurassique est ici relayé à un rôle de chien de garde sauveur de l’humanité, les raptors à celui de chiens de chasse finissant par renoncer aux proies les plus faciles (les humains), le mosasaure (grosse bébête sur l’affiche, présenté pour la première fois dans la saga) à une chose sanguinaire faisant office de vide à ordure; enfin les autres dinosaures (notamment les herbivores) sont semblables à de simples pantins, chair à pâté pour l’Indominus. Ce n’est alors plus les dinosaures qui nous lassent, mais bien le film qui cherche à nous en lasser. Le film qui semble dire, de lui-même: de simples dinosaures? Cela ne pourrait vous suffire, pauvres mortels. Ajoutez à cela des scènes clairement trop violentes dignes de certains films d’horreur, fermant de ce fait la porte au jeune public, et le film perd définitivement toute âme. Malheureusement, ses quelques bonnes idées ne le sauveront pas.

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Faire renaître une saga culte, ramener à la vie un personnage héroïque déchu et enseveli par le temps qui passe. Que de louables intentions. Et pourtant, comme dirait Maître Yoda, « La mort est un élément naturel de la vie, réjouis-toi pour tous ceux autour de toi qui retournent à la Force. Ni les pleurer ni les regretter tu ne dois » et quand il s’agit d’univers incontournables ayant à présent faits leur temps, certains producteurs, écouter Yoda, auraient dûs. Ce dernier volet jurassique, avec son réalisateur quasi-néophyte dans le milieu, ne disposant d’aucune espèce d’expérience valable, n’a hélas pas fait exception. On continue à se demander pourquoi Spielberg se cantonne encore et toujours à ne faire que de la production (Steven, reviens nous…).

C’est la triste vérité: l’expérience nous apprend hélas que toutes ces renaissances, ces ré-adaptations et ces suites désespérées ne mènent bien souvent à rien d’autre qu’à une perte de crédibilité totale quant à l’ensemble de la saga dont elles sont issues. On pourrait alors se poser cette seule et unique question: Pourquoi? Pourquoi faire d’un monument de cinéma une suite ne disposant d’aucune espèce d’originalité ou pire encore, un remake défaisant tout ce qui avait été fait jusqu’alors. Est-ce l’angoisse de la feuille blanche? La peur du vide? Tandis que les nouveaux talents innovants sont tantôt boudés, tantôt carrément ignorés par le commun des mortels et que les jeunes réalisateurs doivent faire de terribles acrobaties et des efforts colossaux pour se faire remarquer, force est de constater que la majeur partie des studios angoissent unanimement à la seule idée de confier à un réalisateur un scénario original, totalement inconnu du grand public. Et si ce scénario n’est pas tiré d’un livre, ni même d’une œuvre ou inspiration quelconque, le feu vert quant à la réalisation du film parait alors impossible (demandez à Georges Lucas, en 77). En définitive, sachez que j’ai malheureusement la réponse à ce « Pourquoi », et je présume que vous l’avez aussi. Sinon, sachez qu’elle se trouve dans la caisse du cinéma dans lequel vous êtes allés voir toutes ces redites et pâles copies cinématographiques…Le plus triste dans tout ça, c’est bien de savoir qu’une suite de ce Jurassic World est en préparation, tandis que le film se clôture sur une fin très largement ouverte; qui sent d’ores et déjà le sapin.

371166Aujourd’hui, je crois sincèrement que le cinéma a besoin de plus de « sauts dans le vide » et non d’auto-parodies systématiques de ce qui n’est, à présent, plus que l’ombre de lui-même.

Jurassic World, tes effets spéciaux, tes quelques bonnes idées et tes nombreux clins d’œil t’ont sauvé de la note 1. Pourtant tu n’en étais pas si loin.

Note globale: 2/5.

 Ben’

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