Dans un Recoin de ce Monde (Film, 2017)

C‘est avec une joie immense que je vous retrouve pour un nouvel article sur curious world! Le film dont nous allons parler aujourd’hui n’est rien d’autre qu’un de ces nouveaux bijoux de l’animation japonaise, de ceux dont nos amis nippons ont le secret… Tandis que certains le présentent comme le digne successeur des œuvres du génie Takahata (Le Tombeau des lucioles, La princesse Kaguya, ect.) et que d’autres en parlent souvent comme la relève « post-Ghibli » aux côtés du travail de réalisateurs tels que Makoto Shinkai (Your Name) ou Hiromasa Yonebayashi (Arrietty et le petit monde des chapardeurs, Souvenirs de Marnie et bientôt Marie et la fleur de la sorcière), le nouveau film de Sunao Katabuchi est pour moi une oeuvre à part, un doux mélange de merveilles et d’agonie. Mais voyons plutôt…dozo!

Je ne peux me dérober, le Japon exerce sur moi une fascination assez singulière, aussi, je m’efforce de ne rater aucune sortie issue de leurs studios, tant les coups de cœurs ont été nombreux… J’avais repéré l’affiche pastel, colorée et délicate de ce nouveau long-métrage depuis plusieurs mois déjà mais c’est seulement, comme c’est souvent le cas, durant ses dernières semaines d’exploitation que j’ai enfin pu visionner Dans un recoin de ce monde et ce, dans les meilleurs conditions possibles: en version originale au Studio des Ursulines. Quel en fut le résultat cette fois? Une explosion de sensations, de satisfactions, de surprises et d’émotions. Encore.

Je dis encore mais c’est bien la première fois que j’ai ressenti autant d’émotions contradictoires au sein d’un film d’animation japonaise… Et je crois là que c’est l’intérêt principal de cette oeuvre: s’en émerveiller tout autant que s’en révolter, s’en délecter tout autant qu’être répugné, s’en imprégner tout en étant dérangé. Bande annonce & synopsis, s’il vous plait!

La jeune Suzu quitte Hiroshima en 1944, à l’occasion de son mariage, pour vivre dans la famille de son mari à Kure, un port militaire. La guerre rend le quotidien de plus en plus difficile, malgré cela, la jeune femme cultive la joie et l’art de vivre. Mais en 1945, un bombardement va éprouver son courage.

Tandis que la réclame et son message semblent trompeurs, avec son tracé façon crayon de couleur – rappelant Takahata et ses Yamada – et l’évocation de sujets évocateurs et innocents que sont la nature, l’enfance et le dessin, ce synopsis semble quant à lui aller au devant même d’un sujet sujet ô combien délicat: celui d’Hiroshima.

Je dois vous l’avouer, je n’avais lu aucun synopsis, visionné aucune bande-annonce, je venais en tant que curieux, tout immaculé de soupçons ou de préjugés, prêt à accueillir l’oeuvre dans l’expérience, entier que j’étais. Une fois encore, je crois que c’était là la meilleure façon de la déguster tant le choc qui en découla fut titanesque, en effet.

Nous allons donc traiter de la Seconde Guerre Mondiale au Japon et plus particulièrement de l’installation progressive puis brutale de celle-ci au sein de la préfecture d’Hiroshima, notamment à Hiroshima même (広島市Hiroshima-shi) puis à Kure (呉市Kure-shi): car voilà l’objet de ce film, malgré ses apparences trompeuses et autres évocations du merveilleux.

Par-delà la guerre et le malheur, le merveilleux y existe bel et bien et ce, d’une manière à la fois troublante et unique. Le film débute donc à l’aube des années 30, là où la paix règne encore et que le premier grand conflit, clôt maintenant depuis une dizaine d’années, semble dès lors ne plus trop résonner. Tandis que les années filent au rythme d’ellipses et d’instants de vie dévoilés, on assiste à un défilé de scènes aux contrastes marqués, où l’horreur et le meilleur se côtoient sans la moindre erreur. Et c’est là toute la force de l’oeuvre: dépeindre une guerre cruelle dont les civiles sont les cibles premières au travers d’un environnement qui, malgré la haine et le désespoir reste un petit port où les enfants s’émerveillent, où la nature évolue et où le lien avec la vie et les éléments est sacré, au-delà de tout raisonnement. Dans un recoin de ce monde est un film présentant le pouvoir qu’à la guerre de meurtrir les gens, aussi pacifiques, aussi simples et bienveillants soient-ils. Il n’a pour unique but que de traiter de la nature humaine avec autant de réalisme que d’optimisme, ce dont peu de films pourraient aujourd’hui se vanter. Suzu – l’héroïne – est un concentré d’humanité d’une richesse inouïe: dévouée à sa belle-famille suite à un mariage forcée, elle va affronter la guerre sans colère ni agressivité, traverser les malheurs sans désespérer, vivre et exister là où tout devrait l’en empêcher. Elle saura aimer et pardonner, donner et recevoir, comprendre et accepter. Elle est un exemple d’espoir et d’abnégation tel que rarement le cinéma nous en a donné. Et c’est aussi là la magie de l’animation: extraire de toute destruction une nouvelle création.

Je reprocherais seulement un manque d’attention quant à l’ambiance sonore et musicale de l’oeuvre, qui sans être inexistante, aurait mérité plus de passages musicaux et de thèmes marquants. Sa longueur et sa trame ont également de quoi dérouter, pour ceux des moins initiés.

Traiter d’une tel sujet n’est cependant pas chose aisée. La plasticité du film et la finesse de son tracé indiquait pourtant tout d’une histoire tendre et naïve et c’est là que le film surprend: cette naïveté existe, cette innocence est présente et elles ne font que renforcer le choc qui nous habite en visionnant celui-ci. Car en effet, que dire de ces corps déchiquetés dessinés par le même crayon que ces fleurs en été? Qu’exprimer quand les bombes explosent dans le ciel en se muant en des tâches de couleurs, qui comme un tableau de Monet, serait vouées à nous impressionner? Que déclarer lorsqu’un enfant joue puis meure sous les coups de pastel d’un seul et même talent reproduit et dessiné?

Oui, nous sommes ici les spectateurs d’une mise en scène marquante où la joie de tracer des traits se mêlent avec la douleur de perdre les êtres aimés. Nous traversons le bonheur exquis d’observer une cigogne en plein vol avant d’être rappelés par les bombes qui s’envolent. Le style entier utilisé nous ramène à l’enfance avec des personnages qui ne semblent jamais grandir avec leurs visages ronds et jovials, avec cette protagoniste de premier plan qui ne semble jamais avoir dix-huit ans ou encore ces hommes qui paraissent pour la plupart encore adolescents. Et pourtant, ce film ne s’adresse pas aux enfants, car il traite de choses qu’un certain âge seulement nous permet d’appréhender en pleine lucidité. Face aux conflits qui font rage, civils et jeunes gens sont impuissants, figures immatures et victimes désarmés face à une haine qui les ont dépassés. Alors tant pis si les navires de guerre sont dans le paysage, oui, tant pis si les alertes nocturnes sont dans les parages, ils continueront à aimer cette bonne terre et à jouir de sa nourriture (ô combien, ici encore, bien dessinée et représentée) car c’est avec raison qu’ils semblent penser: nous le défendrons, car c’est là tout ce qui nous avons.

Un film d’une grandeur inavouée, au contenu fort et contrasté, prenant des risques qui paraissent parfois inconsidérés mais qui toujours au fin fond, frappent nos cœurs émerveillés. Attendez-vous, sans la moindre préparation, à être soufflés, face à une incroyable explosion. Note: 4,5/5.

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