Album Of The Week #8: ‘Take Me To The Alley’ by Gregory Porter

Gregory Porter - Take Me To The Alley (2016)Rares sont ceux qui, fussent-ils vénérables ou dans la fleur de l’âge, n’ont jamais ouïs la voix profonde et chaleureuse de Gregory Porter, cet extraordinaire chanteur noir américain originaire de Bakersfield, en Californie. Reconnaissable entre mille, coiffé de son énigmatique béret couplé d’un passe-montagne, toujours vêtu avec toute la grâce et l’élégance d’un dandy moderne, il frappe les esprits et reste dans les mémoires de par sa merveilleuse propension à conjuguer avenir et passé. Car, non content de faire renaître le jazz vocal à son âge d’or (tant commercialement qu’artistiquement), il fait preuve d’une ouverture d’esprit sans faille, l’amenant à travailler avec des DJs et des producteurs new wave aux univers totalement opposés au sien (Disclosure, 20cyl, Claptone, ect.). N’hésitant pas à diffuser en masse tous les remixes que les jeunes esprits, inspirés par sa musique universelle, auront concoctés, il va même jusqu’à les sélectionner et les placer en Bonus Track au sein des versions deluxe de ses dernières sorties. Un homme actuel, doux et généreux, amoureux de la musique sous toute ses formes et qui donne leur chance à ces jeunes gens, avides de répandre leurs mélodies folles aux rythmes décadents.

Il y a tout juste une semaine maintenant, le 6 mai 2016, paraissait son quatrième album studio: Take Me To The Alley, résultat d’un parcours déjà incroyable malgré la jeunesse de sa carrière. Débriefing complet sur ce nouvel élan, frais comme le printemps…

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  1. Holding On

Premier single dévoilé, Holding On n’est autre que la composition ayant donné lieu à la désormais célèbre collaboration entre Gregory Porter et Disclosure. Voici donc cette dernière, dans sa version acoustique, sous la seule influence du jazzman. On découvre alors une création beaucoup plus sensuelle et feutrée que ne laissait présager la version Disclosure: que de beauté, de force et de délicatesse émanant de ce puissant cri d’espoir aux accents résolument Soul Music. Fils d’un père absent, Porter revient sur la dureté de son enfance et sur la complexité des sentiments. À travers l’altérité, l’abandon sentimental, la peur ou le désespoir, il nous offre une réponse: l’amour doit tenir, faire face et ne jamais faillir. Vient alors cette trompette, tenue par Keyon Harrold, majestueuse et voluptueuse, annonçant un dernier refrain à la grâce infinie où la voix du baryton monte, monte, tel le vol d’un oiseau dominant les montagnes, incapable de chuter. L’amour tiendra, coûte que coûte.

2. Don’t Loose Your Steam

Second single présenté, Don’t Loose Your Steam n’est pas sans rappeler les grands succès énergiques de Porter (Liquid Spirit, On My Way To Harlem, 1960 What? ect). L’omniprésence des cuivres vient rappeler l’héritage Jazz et Swing dont le chanteur jouit brillamment. Un titre efficace qui vient mettre une dose d’adrénaline à ce début d’album plutôt doux et poétique. Le solo de saxophone alto en mid-track, tenu par le jeune japonais Yosuke Sato, vient parfaire ce tableau juste et à la hauteur de la réputation que Gregory  Porter et ses musiciens se sont forgés en foulant les scènes du monde entier.

3. Take Me To The Alley

Titre éponyme et très attendu, Take Me To The Alley, vedette phare de cet album, est à la hauteur de ce qu’il promettait. D’une rare tendresse, avec cette basse et ce piano enivrants, parfaitement synchronisés et cette batterie à peine audible, il vient adoucir chaque instant de votre journée de manière mémorable. Entendu de nombreuses fois lors du dernier passage en live au quatre coins de l’Europe, cette superbe composition fit vibrer L’Olympia en novembre dernier, détendant immédiatement une atmosphère parisienne alors très particulière: c’est dire à quel point ce morceau a un pouvoir apaisant. Cette version studio, enrichie du sublime écho d’Alicia Olatuja en back vocals, s’avère plus calme et moins osée que son aînée live, et pourtant, elle parvient à rester véritablement unique. C’est à nouveau la trompette de Keyon Harrold qui est à l’honneur, remplaçant l’intervention du saxophone de Tivon Pennicott dans la version live. Un message reste gravé: celui de la présence, aux côtés de gens démunis, malades et égarés. Un nouveau témoignage d’amour et d’ouverture de la part d’un homme décidément remarquable.

4. Daydream

La pièce la plus expérimentale du puzzle. Porter essaye ici des choses totalement inédites dans sa carrière comme une double-voix superposée sur deux tons différents, offrant un résultat assez inhabituel et très plaisant à l’oreille. Des montées et des descentes aux accents mélancoliques menées par le brillant piano de Chip Crowford habillent la composition tandis que Yosuke Sato s’en donne à cœur joie, pour la deuxième fois, rappelant sa virtuosité déjà présente sur le dernier album. Même lorsqu’il innove, Porter reste fidèle à son talent et à sa créativité. Une petite prise de risque qui marche bien malgré tout.

5. Consequence Of Love

Nous rentrons dans la phase la plus passionnante de cet album. La première pierre qui y est posée, c’est ce Consequence Of Love, qui allie un ton mineur, porté par l’orgue d’Ondrel Pivec rappelant la difficulté de la chose mais également ce piano de Crowford portant avec lui les espoirs qu’insufflent ce sentiment si précieux. Tout est dans la subtilité. On retrouve la douce mélancolie d’un No Love Dying accompagné à la fois d’un Hey Laura rempli de légèreté et de promesses. Au fond, c’est un peu ça la musique de Porter, une légère et douce mélancolie, cachant un fond d’espoir immuable.

6. In Fashion

 Voici la pièce maîtresse. Un cocktail inimitable et savoureux. Jamais les instruments n’ont été aussi en phase dans un morceau de Porter, jouant beaucoup, d’ordinaire, sur le décalage de ces derniers. Il en ressort une entité complète et plus percutante que jamais. Et ce Crowford, encore et toujours…Ses accords de piano risquent de vous entêter un petit moment, tandis que le chanteur se complet à parler mode et style, détaillant des assemblages de vêtement et parlant de toutes ces tendances qui défilent sous ses yeux. Pour un homme qui s’habille avec autant de classe, quoi de plus naturel? Un morceau estival qui risque de tourner en boucle dans tous les endroits bien comme il faut.

7. More Than A Woman

Sur ce titre, plus que nécessaire, Porter revient à ses origines, avec un ton et une chaleur non sans rappeler un Be Good encore bien ancrée dans nos mémoires. De confession chrétienne, les références à la Bible sont loin d’être anodines chez Porter; et tandis que certains esprits tordus y verraient une sorte de blasphème, il ne véhicule ici pourtant qu’une chose: cette femme est bien plus que la condition de « femme » dans laquelle on veut l’emprisonner. Cette femme est bien au dessus de toutes les considérations, elle est un idéal d’amour et de tendresse à atteindre. Une sorte de revanche face à cette ancienne misogynie qui fut longtemps en vigueur au sein de la religion chrétienne. Car tandis qu’on répandait que la femme détournait de la raison et que tout amour pour elle rendait aveugle, Porter proclame solennellement: « [She] made my blind eyes see. »

7. In Heaven

C’est une ballade légère qui poursuit cette très belle lancée, rappelant certains travaux maintenant cultes des belles Stacey Kent ou Diana Krall. Keyon Harrold fait alors son retour à la trompette et offre une performance parfaitement ancrée dans cette légèreté ambiante, enchaînant les gammes avec rapidité et virtuosité. Un titre simple qui trouve sa place au sein d’un parcours ayant déjà fait ses preuves.

8. Insanity

Sans doute le morceau le plus fidèle à l’image que l’on se fait du travail de Porter: une voix résolument Soul sur un instrumental aussi libre et volatile que le vent lui-même. La batterie d’Emmanuel Harrold reprenant ses droits et menant la danse tandis que la basse d’Aaron James accompagne avec beauté et simplicité cette trompette bien menée. Porter exprime ici sa volonté de redonner plus de place à cet instrument noble tandis qu’il donne le meilleur de sa voix, grandiose sur la fin.

9. Don’t Be A Fool

Formule classique de la Soul, du Jazz et du Rock, Don’t Be A Fool est le cri de désillusion d’un homme se sentant trompé et désespéré et qui pourtant croit encore et toujours en l’amour. On retrouve avec plaisir la voix d’Alicia Olatuja qui accompagne les refrains et donne encore davantage de chaleur et de subtilité aux paroles du baryton (si cela est possible). Piano et orgue se livrent à une jolie démonstration de leurs talents tandis que la dernière phrase de Porter monte dans une note finale de saxophone.

10. Fan The Flames

Place à cette composition totalement endiablée, revenant à la racine même du Jazz instrumental ainsi qu’à sa virtuosité. Tantôt des instruments déchaînés, enchaînant les solos, tantôt une voix poussant cris et autres onomatopées tonitruantes. Un titre brut et sans concession, donnant tort à tous les détraqueurs parlant d’un album mièvre « à base de guimauve US ».

11. French African Queen

Ce soupir final est résolument la pièce la plus sauvage de cet ensemble. Un tempo rapide, une basse pleine d’expression menant la cadence et une batterie qui fait tourner la tête. Tout semble improvisé et maîtrisé à la fois, promettant un final des plus inoubliables. Les cuivres viennent placer le thème et la mélodie tandis que le piano, avec ses arrangements intelligemment placés, ajoute le semblant de mélodrame qu’il aurait pu manquer. Un dernier solo au saxophone tandis que Porter semble à bout de force, comme à la fin d’un concert épuisant; et pourtant, c’est à ce moment qu’il est le plus surprenant, le plus déchirant, léchant les limites de la justesse pour un cocktail vocal des plus audacieux. L’album se termine ici, avec brutalité et élégance à la fois, au beau milieu des rues de la capitale française. Que d’honneur!

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Avec:

Gregory Porter – chant, Chip Crawford – piano, Aaron James – basse, Emmanuel Harrold – batterie, Yosuke Sato – saxophone alto, Tivon Pennicott – saxophone ténor.

Invités:

Alicia Olatuja – chant, Keyon Harrold – trompette, Ondrel Pivec – orgue.

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D’après les mots des auditeurs Deezer, Gregory Porter is « back to the roots with new flowers » avec ce « nouvel album plus personnel, la voix [prenant] toute son ampleur et se [mêlant] avec rondeur aux instruments ». Sans pour autant dépasser l’exceptionnel Liquid Spirit, ce nouveau long play a le mérite d’apporter un élan d’air frais à la musique du chanteur américain. Prouvant sa capacité à se renouveler encore et toujours, dépassant ses propres limites, ce dernier reste cependant fidèle à lui-même et nous régale un fois encore de son audace. Il ne vous reste plus qu’à vous procurer cette nouvelle galette à la richesse incontestée, de préférence en Version Deluxe, afin de profiter de tous ces remixes et autres versions concoctées par de jeunes talents prometteurs.

Note globale: 4/5.

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Ben’

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